Transfert technologique : l’efficacité d’un processus du labo à la ferme.

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Par Réal Michaud, agronome et phytogénéticien

La finalité du sélectionneur de plantes fourragères est de créer des variétés adaptées à un environnement en perpétuelle évolution : techniques culturales, fréquence de coupes, besoins alimentaires, maladies et insectes, climat, etc. Comme le développement d’une variété dure environ 15 ans, le défi est donc de concilier une certaine constance entre les objectifs de départ et des besoins changeants. Pour répondre à cette évolution, le sélectionneur doit pouvoir composer avec des objectifs à court, moyen et à long terme et, en tout temps, faire des choix judicieux.

 

La sélection végétale se situe au carrefour de nombreuses sciences (génétique, pathologie, physiologie, agronomie). De plus, en plantes fourragères, il faut tenir compte des exigences et besoins des animaux. La complexité des problèmes nécessite de plus en plus le travail d’équipes pluridisciplinaires. La sélection des plantes fourragères est une discipline relativement nouvelle, considérant que peu de variétés ont été développées avant les années 1960 et que c’est au début des années 1970 et surtout depuis les années 1980 que le secteur privé s’est intéressé aux plantes fourragères en privilégiant certaines espèces.

Une sélection classique

Bien que l’on oppose souvent la sélection végétale classique aux biotechnologies, ces méthodes sont complémentaires. La création variétale repose et reposera encore longtemps sur des schémas de sélection classique. Cependant, l’intégration harmonieuse de nouvelles technologies telle l’utilisation de marqueurs moléculaires permet déjà de mieux explorer la variabilité génétique, d’accélérer le processus de sélection et d’accomplir des progrès jusqu’ici inespérés.

Les schémas de sélection peuvent varier d’un améliorateur à l’autre mais globalement, les schémas classiques de sélection sont sensiblement identiques. Ils peuvent différer légèrement selon les espèces et comprennent généralement trois phases.

Dans le processus de sélection, chaque plant fait l’objet d’une multitude de notations au cours des différents cycles de croissance. Au cours de cette phase qui dure trois ans, certaines plantes seront retenues et, dans une seconde phase, seront rec…

Dans le processus de sélection, chaque plant fait l’objet d’une multitude de notations au cours des différents cycles de croissance. Au cours de cette phase qui dure trois ans, certaines plantes seront retenues et, dans une seconde phase, seront recombinées pour tester leur aptitude à la combinaison.

Durant la première phase, on étudie en pépinières des plantes isolées issues de croisements, du matériel en cours de sélection, des écotypes ou d’autres variétés. Le sélectionneur doit disposer d’une variabilité génétique importante. Chaque plante fait l’objet de nombreuses notations au cours des différents cycles de croissance (précocité, hauteur, abondance de feuillage, verse, maladies). Au cours de cette phase qui dure trois ans, certaines plantes seront retenues et, dans une seconde phase, seront recombinées pour tester leur aptitude à la combinaison.

La troisième phase concerne l’essai en parcelles des descendances des plantes obtenues précédemment. Les parents des meilleurs descendants sont retenus et intercroisés en vue de créer une future variété. Au cours de cette phase qui dure également trois ans, le matériel est caractérisé pour le rendement, la persistance, la hauteur, les maladies et autres caractéristiques agronomiques et alimentaires selon le cas. Cette future variété est ensuite évaluée dans des essais officiels avant de recevoir un appui à l’enregistrement pour sa vente au Canada et son inscription sur la liste des recommandations du Québec.

La sélection sur le rendement

Il devient difficile de considérer séparément les feuilles et les tiges puisque l’animal consomme la plante entière. Face à cette impasse, la sélection tend plutôt à regarder les fractions protéiques pour améliorer l’efficacité de l’utilisation de l…

Il devient difficile de considérer séparément les feuilles et les tiges puisque l’animal consomme la plante entière. Face à cette impasse, la sélection tend plutôt à regarder les fractions protéiques pour améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’azote par les animaux.

Le rendement en matière sèche demeure un axe important de sélection puisque le rendement affecte directement les coûts de production par unité de matière sèche produite, les coûts de récolte demeurant relativement constants même pour de bons écarts de rendement. Depuis 20 ans, des progrès relativement modestes ont été réalisés sur les rendements en plantes fourragères par rapport au blé ou au maïs. L’explication réside essentiellement dans le fait que la sélection des plantes fourragères porte sur la plante entière et non sur une seule partie, comme le grain. Par contre, par le biais de la résistance aux maladies et insectes, le rendement a pu être amélioré et régularisé.

La sélection sur la valeur nutritive

La maturité, le climat, le sol sont quelquesuns des multiples facteurs qui peuvent affecter la composition de la plante et par conséquent sa valeur nutritive. La teneur en azote peut difficilement être améliorée car l’augmentation du rendement en matière sèche tend à la diminuer. De plus, à partir d’un certain stade de croissance, la masse foliaire reste stable et c’est la quantité de tiges qui varie. Pour la sélection, il est difficile de considérer séparément les feuilles et les tiges puisque l’animal consomme la plante entière. Face à cette impasse, la sélection tend plutôt à regarder les fractions protéiques pour améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’azote par les animaux.

La teneur en glucides solubles est également un critère difficile à prendre en compte. Les variations quotidiennes et l’évolution rapide après la coupe (respiration) la rendent délicate à doser. La digestibilité de la matière sèche et des parois cellulaires sont des critères de plus en plus utilisés pour améliorer la valeur nutritive.

La sélection sur la pérennité

Des sélections pour la tolérance au froid, la survivance à l’hiver et la résistance aux maladies et insectes sont autant de moyens utilisés par le sélectionneur pour accroître la pérennité des plantes fourragères et spécialement des légumineuses. Le développement d’essais de tamisage en milieux contrôlés a permis d’accélérer considérablement le développement de matériel génétique qui combine plusieurs caractères associés à une meilleure persistance.

Les essais officiels

L’enregistrement des variétés et leur inscription sur la liste des recommandations n’ont lieu qu'après une évaluation judicieuse réalisée dans un réseau d'essai. Au Québec, ce réseau qui regroupe trois sites sous la responsabilité du Comité des plantes fourragères du CRAAQ. Cette évaluation d’une durée de trois à quatre ans permet entre autres de déterminer le potentiel de rendement des variétés, leur résistance aux maladies et insectes et leur pérennité. Une variété est évaluée sur un minimum de 8 années-stations. Une année-station est constituée de l'ensemble des récoltes provenant d’un site durant une année. Pour se retrouver sur la liste des variétés recommandées, une variété doit avoir une performance supérieure ou tout au moins égale à celle des variétés témoins inclues dans les essais. Ces variétés témoins sont généralement les meilleures variétésdisponibles. Seulement 10 à 20 % des variétés expérimentales soumises à l'évaluation sont jugées suffisamment bonnes pour être ajoutées à la liste des variétés recommandées. Ceci démontre toute l'importance du réseau d'essais dans l'élimination du matériel moins performant, et contribue également à mettre l'accent sur l'utilisation de variétés recommandées parce qu'elles représentent une valeur sûre.

Du sélectionneur au producteur

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Parallèlement aux essais d’enregistrement et de recommandation, il faut procéder à l’étape de la production de semence dont les agents officiels contrôlent la qualité selon des procédures bien établies. La multiplication de semence comporte trois générations, soit la production de semence de Sélectionneur produite sous la supervision d’un sélectionneur reconnu par l’Association canadienne des producteurs de semences, la semence Fondation et la semence Certifiée. Ces deux dernières générations sont produites par des producteurs agricoles spécialisés. La variété se retrouve finalement chez le producteur par le canal des agents de distribution.

Semences certifiées : garantie d’intégrité génétique

Les semences certifiées représentent l’aboutissement du long processus de sélection et d’évaluation de la performance supérieure des nouveaux cultivars. Ces semences issues du croisement de plants élites ont fait l’objet de plusieurs contrôles tout au long de leur cycle de production afin d’assurer un haut degré de pureté et un taux de germination élevé.

Lorsqu’il achète des variétés recommandées de plantes fourragères, le producteur est assuré d’un produit qui possède des caractéristiques agronomiques éprouvées. Ces caractéristiques intègrent les résultats de plusieurs travaux de recherche par des équipes pluridisciplinaires. C’est un fait reconnu que la production de semence certifiée représente un outil hautement efficace de transfert technologique du laboratoire vers le producteur. Peu importe que les nouvelles variétés soient issues de la sélection classique ou qu’elles découlent de la biotechnologie, en bout de ligne, leur contribution positive à l’économie des entreprises agricoles est indéniable.

Cet article fut originalement publié dans l’hebdomadaire agricole ZOOM - Fourrage.
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